Quelques repères et quelques pistes:
-Introduction: Du sens commun à la théorie
- L'acte d'apprendre: première définition
- Le modèle allostérique et les théories contemporaines sur l'apprentissage selon André Giordan
- Didactique ! Vous avez dit didactique ?
- Relation didactique et outils multimédia à des fins d’apprentissage ou de formation.
Introduction: Du sens commun à la théorie.
La polysémie du verbe « apprendre » dans la langue française
témoigne de l’opacité irréductible de ce processus.
« Apprendre à penser, à vivre, à mourir, apprendre
à apprendre, apprendre les mathématiques, apprendre un métier,
apprendre une bonne ou une mauvaise nouvelle, apprendre de , apprendre à
, apprendre que... » ; autant d’expressions qui, dans leurs usages
ordinaires, renvoient à des expériences, à des situations
et à des significations multiples. L’apprentissage est un processus
qui accompagne et construit l’histoire des sujets individuels et des organisations.
Ce processus est spécifique à chacun tout en inscrivant le sujet
dans l’histoire des espèces vivantes, de groupes , des sociétés,
des institutions.
Certes, chacun a une idée, une opinion constituée sur ce qu’est
apprendre.. Cette opinion, assez souvent définitive dans son expression,
doit certainement beaucoup à l’expérience individuelle.
Elle s’inscrit profondément dans son itinéraire, elle dépend
de ce que l’on a vécu. Elle est fortement marquée au sceau
des réussites et des échecs de chacun. Elle est aussi empreinte
des déterminations inconscientes, de réminiscences troubles en
rapport avec des expériences tantôt douloureuses, tantôt
fécondes d’apprenant dans le système scolaire. Elle fait
revivre au présent nos premières hésitations, nos tout
premiers pas dans l’apprentissage du métier. Imaginaire, mythe,
souvenirs écran inscrivent ces conceptions au creux de la nostalgie du
temps perdu et du temps retrouvé.
Chacun de nous ne porte-t-il pas en lui la figure idéalisé du
maître unique et charismatique qui détermine sa conception et son
opinion sur ce qu’est apprendre et sur les conditions nécessaires
à l’apprentissage.
Chacun, en référence au vécu scolaire auquel nul n’a
échappé, pense détenir la bonne méthode qui permettrait
à coup sûr d’apprendre à l’autre. La légitimité
d’une conception de l’apprentissage serait alors question de «
bons sens », en fait elle se tisse avec des idées reçues
du sens commun et issues de notre « vécu d’écolier
». Croire par exemple que l’enseignement ou la formation dépend
davantage de dispositions « naturelles », d’un art «
d’enseigner » que de compétences professionnelles construites
dans et par la formation est à rapprocher de la théorie commune
des « dons naturels » qui voudrait que la capacité d’apprendre
soit essentiellement déterminé par des compétences innées.
Cette confusion entre dons et compétences est en œuvre dans l’expression
commune « apprendre à quelqu’un quelque chose, : le maître
apprend à lire à l’élève ». Or, il suffit
de réfléchir un tant soi peu pour s’apercevoir que c’est
l’élève qui apprend, le maître, lui, enseigne, forme,
éduque. Le moment, le temps où l’un apprend n’est
pas forcement celui où l’autre enseigne : l’apprentissage
n’est pas le résultat automatique, l’effet direct de l’enseignement.
Le sens commun ici confond deux processus que la recherche, le travail sur les
concepts et les théories permettent de distinguer radicalement mais aussi
d’articuler en questionnant leur influence réciproque : apprendre
et enseigner.
Cependant, le sens commun intéresse la recherche comme départ
dans lequel viennent puiser les théories pour définir leurs questionnements
et élaborer des conceptions qui, sans prétendre dire le vrai,
permettent de sortir de la confusion. Théoriser, élaborer des
modèles de l’apprentissage c’est « expliquer davantage
pour comprendre mieux ».
Loin de disqualifier l’expérience dans la compréhension
de ce qu’est apprendre , nous prétendons que la seule référence
à l’expérience vécue pour justifier une conception
de l’apprentissage ne peut construire que « des allants de soi »,-
des idées toutes faites, des évidences - si elles ne rencontrent
pas les théories et les modèles que la recherche en sciences humaines
et en sciences de l’éducation en particulier ont élaborées
pour proposer une compréhension provisoire et toujours en question de
ce qu’est apprendre.
Les théories de l’apprentissage intéressent alors les futurs
professionnels de la formation, de l’éducation, de l’enseignement.
Mais que peuvent-il en faire, comment servent-elles la professionnalisation
par la formation.?
L’élucidation de cette question accompagne la connaissance de ces
théories. Après tout, les praticiens ne pourraient-ils faire l’économie
de la théorie pour apprendre leur métier? La signification originelle
de la notion « d’apprentissage », c’est l’initiation
aux gestes du métier dans la durée de l’expérience
pratique. Et il reste vrai que, si la théorie est nécessaire à
la professionnalisation des métiers d’enseignant, d’éducateur,
de formateur, elle ne peut remplacer par avance l’expérience de
l’activité réalisée. Le point de vue de la théorie
n’annule pas celui du sujet, ni celui du sens commun ; elle y introduit
une perspective critique vers plus d’intelligence des pratiques. Le questionnement
du professionnel est étayé par la connaissance des théories.
Connaître des théories, c’est se donner une culture utile
pour se professionnaliser. Le bon professionnel aujourd’hui n’est
pas tant celui qui aurait les bonnes réponses aux problèmes de
la pratique que celui qui se pose, et qui pose à ceux avec qui il travaille
de bonnes questions.
bibliographie:
DONNADIEU, GENTHON, VIAL : « Les théories de l’apprentissage.
Quel usage pour les cadres de santé ? » InterEdition, Masson, Paris,
1998
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L’acte d’apprendre : première définition
B.AUMONT , P.M. MESNIER. 1992, De l’acte d’enseigner
à l’acte d’apprendre. P.U.F pp. 35/40.
Partons de la situation d’apprentissage telle que nous l’avons approchée
dans l’auto-formation. Tout apprenant se place face à un objet1
— secteur de savoir ou de savoir-faire qu’il a le projet de faire
sien, « d’appréhender »1 —selon une démarche
d’appropriation qui le mobilise intellectuellement et affectivement. Ce
faisant, il réorganise, autour de cet objet, un grand nombre d’acquis
antérieurs.
Cette définition peut s’enrichir d’une première énumération
des attributs du concept « apprendre ».
• Ce qu’il n’est pas — L’acte d’apprendre
se distingue de deux notions proches :
— « Etre enseigné » : la distinction est fondamentale.
Le formateur ou l’enseignant n’apprend pas aux élèves
quoi que ce soit. Il ne peut que favoriser des démarches d’apprentissage
en proposant des contenus et des méthodes.
— « Savoir » ou « savoir faire » : employés
comme verbes, ces deux termes définissent le résultat de l’apprentissage
et passent sous silence les processus d’acquisition qui permettent d’exercer
des compétences, quel que soit leur secteur d’application.
Il ne faut pas non plus confondre l’acte d’apprendre avec n’importe
quelle expérience de changement dans l’existence d’un individu,
contrairement aux analyses d’O. Clouzot et A. Bloch (1981) qui étendent
le concept apprendre à des acquis affectifs, des ressentis personnels,
des expériences vécues…
Enfin, l’acte d’apprendre ne se situe ni dans la zone des adaptations
à long terme (dans ce cas, on parlerait de développement et non
d’apprentissage), ni dans la zone des réactions à court
terme (on serait alors dans le registre de l’exécution d’une
tâche). Il se situe dans une zone de « moyen terme » où
peuvent se déployer des comportements d’appropriation d’un
objet à connaître.
• Ce qu’il est — Une relation directe à un objet à
connaître :
- menée par un sujet ;
- selon un processus d’appropriation qui s’organise dans un traitement
de l’information,
- engageant le sujet dans ses dimensions physiologiques, affectives et cognitives,
- enracinée dans un désir finalisé qui s’exprime
par l’attente d’un changement ;
Cette relation à l’objet s’opère selon une action
menée librement :
- elle est constituée d’une élaboration/réorganisation
de processus cognitifs, psychomoteurs, socio-affectifs, visant à l’acquisition
de compétences nouvelles dans l’un ou l’autre de ces domaines
;
- elle comporte des phrases d’exploration ;
- elle est menée à l’aide de moyens et/ou de personnes qui
exercent une fonction de médiation auprès du sujet ou une fonction
d’organisation de l’objet ;
- elle aboutit à des savoirs sur l’objet.
Cette définition d’apprendre se situe par rapport à trois
modes principaux d’appropriation des savoirs ou savoir-faire : l’apprentissage
par modification du comportement sous l’effet d’un conditionnement,
l’apprentissage par construction progressive des connaissances, et l’apprentissage
par traitement de l’information à la suite d’une observation.
Rappelons que pour la théorie behavioriste, le modèle de base
de l’apprentissage conditionné est simple : à une stimulation
de l’environnement, le sujet réagit par des comportements considérés
uniquement dans leur aspect observable en relation avec des conditions externes.
L’apprentissage, moyen par excellence de modifier le comportement, devient
le concept central de la théorie. Les réactions du sujet sont
récompensées positivement ou négativement, et ces «
récompenses », si elles obéissent à une systématisation,
entraînent une augmentation de la probabilité de leur apparition
récurrente :
«L’apprentissage ne serait pas autre chose que cet affinement progressif
des actions du sujet par leurs conséquences (…). Apprendre, c’est
apprendre à fournir des réponses d’un type donné,
et modifier ou au contraire consolider l’activité de réponse
en fonction des conséquences qu’elle provoque dans le milieu»
(Winnykamen, 1982, p. 24).
Le second mode se réfère explicitement à la théorie
opératoire de l’intelligence de Piaget : le développement
cognitif du sujet s’appuie sur l’action dont les structures communes
(les schèmes) s’appliquent à tout nouvel objet rencontré
(phénomène d’assimilation), jusqu’au moment où
des caractéristiques trop nouvelles entraînent une accommodation
et donc une modification du système de compréhension. L’apprentissage
s’effectue dans une succession de déséquilibrations-rééquilibrations
cognitives qui permettent une coordination de plus en plus complexe des structures
mentales. C’est toujours l’action du sujet, sous des formes de plus
en plus intériorisées, qui est à l’origine des opérations
mentales les plus élaborées. Toute connaissance est donc construction
active.
Le troisième mode s’enracine dans le courant de l’apprentissage
social, particulièrement développé par Bandura (1980).
Partant du principe qu’un sujet peut apprendre en observant autrui, ce
courant n’est pas fondé sur la primauté de l’action.
L’apprentissage par observation, s’il ne part pas des mêmes
présupposés que le constructivisme piagétien, n’entre
pas pour autant en contradiction radicale avec lui, comme le fait bien remarquer
F. Winnykamen :
« Observer n’est pas agir, mais ce n’est pas non plus regarder
passivement. Le sujet peut extraire des informations sur l’activité
d’autrui, les transformer, les assimiler à ses propres schèmes
opératoires » (Winnykamen, 1982, p. 25. Voir aussi 1990, p. 96
ss.).
Ainsi sera éliminé du champ de notre réflexion tout apprentissage
exclusivement fondé sur le conditionnement ou la reproduction à
visée purement mimétique. Pour travailler sur le thème
des conditions , toute forme d’apprendre où le sujet peut espérer
un transfert dans d’autres situations que celle où l’apprentissage
a été effectué sera retenue. Les théories à
dominante constructiviste et celles qui mettent davantage l’accent sur
la dimension socio-cognitive de l’apprentissage seront donc, dans cette
perspective, les références principales.
L’analyse du processus apprendre ne se placera pas au niveau de la psychologie
cognitive expérimentale, c’est-à-dire de la description
précise des opérations mentales et des procédures sollicitées
par un acte d’apprendre ponctuel. Le travail sur le «comment»
de l’apprendre s’intéresse aux conditions de son fonctionnement
et non directement au fonctionnement lui-même.
Tous les registres de l’apprentissage relèvent de notre étude.
Certes, des dominantes existent : cognitive pour la mathématique, psychomotrice
pour l’apprentissage d’un sport, affective pour l’expression
orale des sentiments. Certains apprentissages sont plus directement reliés
à des opérations mentales complexes ; leur utilisation paraît
alors très indépendante du champ de leur acquisition. D’autres
sont plus tributaires d’un secteur d’expérience ou du milieu
professionnel dans lequel le sujet évolue. Aucun d’entre eux ne
semble échapper, de soi, aux conditions d’acquisition examinées
ici. Bien souvent d’ailleurs, ils participent, peu ou prou, des différents
registres et des différents modes énoncés.
Un exemple vécu dans le domaine du sport montre que cette interaction
des registres et des modes intervient dans des apprentissages complexes à
dominante non cognitive : devenir un bon allier gauche au basket-ball —
jusqu'au niveau de compétitions scolaires régionales — suppose,
cela va de soi, un important travail de coordination psychomotrice entre les
gestes de manipulation et de lancer du ballon vers des partenaires ou vers le
panier, et les courses d’approche et de déplacements dans la zone
adverse. Mais l’application en situation de règles du jeu, l’utilisation
de stratégies variées, le sens du contact avec les autres membres
de l’équipe, l’anticipation sur les actions de l’adversaire,
relèvent bien, eux, des registres cognitif et affectif. Qu’il y
ait également du conditionnement dans ce type d’apprentissage,
aucun de ceux qui l’ont mis en œuvre ne pourra en douter, au souvenir
des exercices fastidieux et répétitifs nécessaires, par
exemple, pour apprendre le lancer correct et performant du ballon lors d’un
coup franc. En même temps, c’est bien à partir de l’action
globale du jeu appuyé sur un projet — gagner le match, à
l’entraînement ou en compétition — qu’est déclenchée
la possibilité d’apprentissages plus complexes et plus coordonnées,
dans cette mise en synergie des secteurs psychomoteur, cognitif et affectif
propres à cette activité.
Seule une action globale finalisée permet, en effet, au sujet, dans la
mise en œuvre de toutes les composantes de ce sport, d’analyser ses
acquis et ses manques, de découvrir de nouvelles possibilités.
S’il est vrai que cette analyse ne peut s’opérer qu’après
une mise à distance de l’action proprement dite, elle se nourrit
entièrement des éléments identifiés dans cette action…
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Le modèle allosterique et les théories contemporaines de l'apprentissage selon A. Giordan
Les recherches sur l'apprentissage convergent aujourd'hui sur
un ensemble de points. En particulier, elles explicitent les limites tant d'un
certain nombre de pratiques éducatives traditionnelles que de certaines
innovations (méthodes actives, non-directives, de découverte).
Elles montrent que ce n'est pas parce que l'enseignant a traité tout
son programme et mené son cours avec sérieux qu'il a nécessairement
fait "passer" un savoir. Les concepts, les méthodes de pensée
ne s'acquièrent jamais par transmission directe d'un enseignant à
un élève.
En effet, la pensée d'un apprenant ne se comporte nullement comme un
système d'enregistrement passif. Il apparaît nettement qu'avant
tout enseignement, les apprenants possèdent un certain nombre de questions,
d'idées, de références et de pratiques. En d'autres termes,
il manipule un mode d'explication spécifique que nous appelons conceptions.
Ces dernières orientent la façon dont l'apprenant (enfant ou adulte)
décode les informations. Tout savoir dépend ainsi des conceptions
mobilisées. C'est à travers elles que l'apprenant interprète
les données recueillies et produit éventuellement une nouvelle
connaissance. Chaque fois qu'il y a compréhension d'un modèle
ou mobilisation d'un concept, sa structure mentale est complètement réorganisée.
L'apprentissage ne peut être donc le résultat d'un simple processus
de transmission, le plus souvent à sens unique maître-élève.
De la même manière, l'action immédiate de l'apprenant, si
elle est parfois nécessaire, n'est pas toujours suffisante. L'appropriation
d'un savoir résulte d'une démarche de transformation de conceptions
où le principal acteur du processus est l'apprenant et lui seul. L'acquisition
de connaissances procède d'une activité d'élaboration dans
laquelle l'apprenant doit confronter les informations nouvelles et ses connaissances
mobilisées, et où il doit produire de nouvelles significations
plus aptes à répondre aux interrogations qu'il se pose.
Sur tous ces plans, les principales théories apparaissent très
limitées. La maîtrise des processus d'apprentissage nécessitait
donc la mise en place d'un nouveau modèle qui intègre les divers
paramètres propres à interférer avec les conceptions mobilisées.
Une tentative a été entreprise au LDES en 1987 (Giordan et de
Vecchi 1987). Elle sera précisée depuis 1988, avec un certain
succès (Giordan 1988). Il s'agit du modèle aujourd'hui connu sous
le vocable de modèle d'apprentissage allostérique (Allosteric
Learning Model pour les Anglo-Saxons). Bien qu'imparfait, ce modèle a
le mérite de circonscrire une problématique, d'expliciter les
principales caractéristiques de l'acte d'apprendre et de permettre des
prévisions. Enfin, et c'est surtout pour cela qu'il rencontre une certaine
audience, il fournit des indications pratiques sur les environnements éducatifs
ou médiatiques propres à faciliter les apprentissages. Ainsi il
permet d'inférer des hypothèses heuristiques par rapport à
des projets éducatifs ou médiatiques spécifiques. Dans
ce texte, nous situons brièvement ce modèle par rapport aux autres
théories contemporaines sur l'éducation, ceci dans un premier
temps. Dans un second temps, nous apportons un certain nombre de précisions
pour affiner sa pertinence.
1. Les théories contemporaines sur l'apprentissage
L'éducation est encore très souvent affaire d'habitude ou d'empirisme.
Toutefois dès que l'on approfondit les pratiques en place, on peut repérer
une série d'axiomes plus ou moins implicites qui sous-tendent à
la fois discours et pratiques. Ces postulats de base sont excessivement divers,
ce qui rend leur catégorisation peu aisée. Heureusement un certain
nombre d'écrits existent. Sans tomber dans un schématisme de mauvais
aloi, on peut alors tenter de les catégoriser.
La grille d'analyse proposée prend appui sur les trois discriminants
principaux, les plus souvent avancés dans la littérature : la
connaissance, l'élève, la société. Cette option
permet de ranger les multiples approches dans une dizaine d'ensembles théoriques
et de les situer dans l'espace selon trois axes :
- axe connaissance : théories académiques, théories technologiques,
théories béhavioristes, théories épistémologiques;
- axe société : théories sociales, théories socio-cognitives,
théories psycho-sociales;
- axe apprenant : théories humanistes, théories génétiques,
théories cognitives.
Pour être relativement complet, il nous faut encore citer les théories
spiritualistes. Il faut dire qu'elles prennent une certaine ampleur en cette
fin de millénaire.
1.1. Théories spiritualistes
Un très vieux courant est ressorti de ses cendres depuis une dizaine
d'années. Il s'agit du courant "spiritualiste", encore appelé
"transcendantal" ou aujourd'hui "new-age". Historiquement,
ces théories de l'éducation se situaient dans une perspective
religieuse ou métaphysique. Les religions et les philosophies orientales
ont toujours alimenté les réflexions sur l'éducation. Notamment,
elles avancent que la personne doit apprendre à se libérer du
connu pour le dépasser. Sous certaines conditions, l'élève
peut s'élever à un niveau jugé "supérieur"
par une série d'étapes initiatiques. Aujourd'hui, cette tendance
retrouve les mêmes bases avec le renouveau de la religiosité, pour
"toucher" plus particulièrement les personnes préoccupées
par le sens de leur vie. La personne doit maîtriser son développement
spirituel ou matériel en utilisant ses énergies intérieures
et en les canalisant dans des activités telles que la méditation,
la contemplation, l'autosuggestion. "L'énergie" nécessaire
se trouve à l'intérieur de la personne qui apprend. Elle est présentée
sous diverses appellations, tels "Dieu", le "Tao", "l'Invisible",
"l'Energie divine", etc. Les principales valeurs porteuses sont la
"bonté", la "justice", "l'amour", "l'autre"
ou encore la "beauté".
Dans ce courant spiritualiste, on retrouve notamment les théories éducatives
de Harman (1974), Krishnamurti (1970), Maslow (1968, 1971), Leonardet de Ferguson.
Le transcendantalisme américain, dont les pionniers sont Emerson (1983),
Thoreau et Fuller, ainsi que les philosophies métaphysiques l'ont également
alimenté. Notons également qu'au sein de ces tendances, se développe
en parallèle tout un ensemble de pratiques pédagogiques qui vont
de la relaxation à la suggestopédie ou qui empruntent aux autres
courants (importance de la personne, acquisition de méthodes de travail,
etc.).
1.2. Théories académiques
Les théories que nous nommons "académiques" sont également
appelées : "rationalistes", "réalistes", "essentialistes"
ou "classiques". Ce sont les plus fréquemment employées
dans les systèmes éducatifs. Elles focalisent leur attention essentiellement
sur la transmission des connaissances (Bloom 1987). Tout est centré sur
les savoirs à enseigner, qu'il s'agit, par l'enseignant, l'animateur,
de maîtriser et de contrôler au mieux.
Les pédagogies de cette tendance misent sur l'exposition des connaissances
disciplinaires par les maîtres (Snyders 1973; Houssaye 1987). Le rôle
de l'enseignant consiste à transmettre les contenus et celui de l'étudiant
à les assimiler. Le cours dogmatique ou frontal est le plus souvent préconisé.
Parfois celui-ci, logiquement conçu, peut s'appuyer sur des illustrations
(schémas ou photos) ou encore sur des expériences qui confirment
les propos du formateur. L'excellence à viser est une structuration des
idées et une progression dans leur présentation. L'effort maximum
à fournir est dans les études et dans un travail de mémorisation.
Deux tendances marquent le courant académique: les traditionnels et les
généralistes. La première tendance voudrait que l'on transmette
des contenus classiques et indépendants des cultures et des structures
sociales actuelles (Hutchin 1953, Pratte 1971, Adler 1986, Finkielkraut 1988,
Domenach 1989). L'autre tendance voudrait s'attarder sur une formation générale
préoccupée par l'esprit critique, la capacité d'adaptation,
l'ouverture de l'esprit, etc. (Hamel 1989); celles-ci étant considérées
comme les retombées inéluctables d'un enseignement bien conduit.
1.3. Théories technologiques
Les théories technologiques, également appelées systémiques,
mettent généralement l'accent sur l'amélioration du message
par le recours à des technologies appropriées. Le mot &laqno;technologie»
peut être pris toutefois, dans un sens très large. Cela comprend
autant les procédures telles qu'elles sont décrites dans le design
de la communication (émetteur, récepteur, codes) que le matériel
didactique de communication et de traitement de l'information.
Historiquement, l'accent a été mis sur le visuel (panneaux, projections
fixes) puis l'audiovisuel (films). Aujourd'hui on retrouve des discours similaires
à propos de la télévision, du magnétoscope, du magnétophone,
du vidéodisque, du disque compact et de l'ordinateur (Lockard et al.
1990, Wager et al. 1990, Lapointe 1990). Les principes directeurs de ce courant
sont la décomposition du message et sa visualisation de façon
saisissante pour que l'élève puisse y adhérer automatiquement
par une sorte d'imprégnation (Tickton 1971). La plupart de ces approches
misent actuellement sur les capacités "impressionnantes" de
l'ordinateur (Kearsle 1987, Lawler 1987, Solomon 1986). Celui-ci peut facilement
gérer de multiples sources d'informations (images, sons, écriture,
etc.) ou permettre aux élèves d'entrer dans des simulations (Papert
1980).
La tendance la plus récente met l'accent sur les environnements informatisés
d'apprentissage et sur les logiciels interactifs (Suppes 1988, Bergeron 1990).
Elle prend de l'importance avec le développement des multimédias
ou autres hypermédias. Les objectifs consistent à créer
des situations faisant appel à des concepts et à des outils d'intelligence
artificielle, à simuler des scènes de la vie réelle ou
des expériences de laboratoire. Des appareils tels que des disques compacts,
contenant des quantités phénoménales d'images et de commentaires
sonores, sont de plus en plus souvent mis en avant.
1.4. Théories béhavioristes
Les théories "béhavioristes" issues des travaux de Watson
sont encore appelées "apprentissage programmé" ou "skinnérien"
(Holland et Skinner 1961, Skinner 1968). Hostiles à la méthode
d'introspection, elles prolongent les études sur les réflexes
conditionnés. De type stimulus-réponse, ces propositions misent
sur les idées de "conditionnement" et de "renforcement".
Pour l'élève, le renforcement consiste dans le fait de savoir
qu'il a donné la bonne réponse.
Cependant, pour que le renforcement soit efficace, il faut que ce dernier porte
sur une petite quantité d'informations. La théorie "behavioriste"
conduit alors à décomposer la matière à enseigner
en unités élémentaires de connaissance, chacune faisant
l'objet d'un exercice particulier.
Ce mouvement a eu beaucoup d'influence sur les enseignements professionnels
et technologiques. Dans l'enseignement général, il a conduit à
développer l'enseignement programmé d'une part (Landa 1974), la
pédagogie par objectifs d'autre part (Bloom et al. 1956, Mager 1962,
Krathwohl 1964). Leur retombée sont présentes encore dans de nombreux
curriculums, notamment dans les pays anglo-saxons et dans certains didacticiels.
1.5. Théories épistémologiques
Cette mouvance "épistémologique", en cours de développement,
repose sur l'idée qu'une meilleure connaissance des structures du savoir
ou des méthodes propres à les produire facilite l'acte d'enseignement.
Le point de départ est toujours la construction du savoir sur un plan
épistémologique ou historique. Les écrits de Kuhn (1970)
et surtout Popper (1961) dans les pays anglo-saxons, Bachelard (1934, 1938)
dans les pays francophones sont mis principalement à contribution (idées
de changement de paradigme, de réfutabilité ou d'obstacle épistémologique).
Il en résulte des pratiques éducatives très diverses. Par
exemple, pour les tenants de Bachelard, l'enseignant essaie en s'appuyant sur
l'histoire des sciences de repérer les obstacles et d'en expliciter la
nature (Canguilhem 1974, Rumelhard 1986). Pour chacun d'eux, il prévoit
ensuite des situations pédagogiques propres à les dépasser
ou à les éviter. Différentes variantes existent cependant
dans leur traitement. Le plus souvent, l'enseignant essaie de faire exprimer
les représentations des élèves puis l'enseignant explique
en tenant compte des obstacles potentiels (Bednarz 1989).
Aujourd'hui cette tendance devient également systémique. Se basant
sur les idées de Von Bertalanffy (1967) ou Morin (1977), le savoir se
conçoit en terme de système. Sur le plan de l'éducation,
citons quelques écrits prenant en compte cette direction : De Rosnay
(1975), Pocztar (1989) et Dick et Carey (1990).
1.6. Théories sociales
Les théories sociales de l'éducation insistent sur les déterminants
sociaux ou environnementaux de la vie éducative. Elles mettent en valeur
leur dimension objective. Les thèmes favoris de ces chercheurs sont la
division en classes sociales, l'hérédité sociale et culturelle,
la provenance sociale des étudiants, l'élitisme. Plus récemment
l'accent a été mis sur les problèmes de l'environnement,
les impacts négatifs de la technologie et de l'industrialisation, la
dégradation de la vie sur la planète Terre, etc.
Ces théories se sont largement développées dans les années
soixante et septante. Elles ont joué essentiellement un rôle contestataire
par rapport aux pratiques traditionnelles en critiquant les institutions (Vasquez
1967, Lapassade 1967, Lourau 1970, Lobrot 1972, Oury et al. 1971). Selon ces
théories, le système éducatif a pour principale mission
de préparer les élèves en dépassant les handicaps
socioculturels. Or, les institutions éducatives feraient exactement le
contraire: elles reproduiraient les inégalités sociales et culturelles
sans trop se préoccuper de ce qui se passe à l'extérieur
de l'école.
Les théories sociales mettent encore l'accent sur les transformations
à apporter à l'éducation en fonction de ses rapports avec
la société (Freire 1974). Ces transformations couvrent pratiquement
toute la panoplie possible des changements. Elles vont de l'analyse critique
des fondements culturels et sociaux de l'éducation (Lapassade 1971, Lobrot
1972) à des propositions de changement radical de la société
(Illich 1970).
Par ailleurs, certaines théories s'attardent sur l'analyse des interactions
sociales (Grand'Maison 1976). D'autres insistent sur les fondements culturels
de l'éducation et proposent d'inclure dans la pédagogie une nécessaire
dimension culturelle (Oury et al. 1971). Elles s'opposent ainsi au mouvement
cognitif préoccupé par la nature même du processus de la
connaissance.
1.7. Théories sociocognitives
Ce courant théorique sur l'éducation insiste non pas sur la société
prise dans son ensemble mais sur les facteurs culturels et sociaux intervenant
dans la construction de la connaissance. Plusieurs variantes existent. Les premières
mettent en avant les interactions sociales et culturelles qui façonnent
l'évolution de la personne dans la société. D'autres s'interrogent
sur l'acte d'apprendre et mettent en avant la coopération dans la construction
des savoirs.
Ces derniers proposent une pédagogie coopérative afin de sensibiliser
les élèves à l'importance de cette façon de travailler
(Augustine et al. 1990), ou mieux insistent sur toutes les interactions possibles
entre apprenants. Le travail de groupe est souvent préconisé (Brandt
1990, Kagan 1990).
Ces chercheurs s'interrogent également sur la domination du courant cognitiviste
en recherche (Bandura 1971, Joyce et Weil 1972). Ils notent plus particulièrement
les problèmes posés par une vision trop psychologique de l'éducation
et insistent beaucoup sur les conditions sociales et culturelles de la connaissance
(Bandura 1986, Lave 1988, Johnson et Johnson 1990). Ce courant est actuellement
très dynamique notamment aux Etats-Unis (Slavin 1990, Johnson et Johnson
1990) et au Canada.
1.8. Théories psychocognitives
Les théories psychocognitives se préoccupent d'abord du développement
des processus cognitifs chez l'élève tels que le raisonnement,
l'analyse, la résolution de problèmes, etc. Toutefois, elles mettent
l'accent sur les paramètres interactifs dans le groupe-classe (McLean
1988).
Relativement proches du mouvement d'idées précédent, elles
insistent sur les aspects socialisés et contextuels de l'apprentissage.
Les fondements de ces théories éducatives se trouvent très
souvent dans les recherches psychosociales (Moscovici 1961, Doise 1975, Perret-Clermont
1979).
Ce qui est d'abord mis en avant c'est l'interaction entre les individus dans
l'acte d'apprendre (Doise et Mugny 1981, Carugati et al. 1985, Gilly 1989).
Suivant les auteurs, il sera nommé "conflit sociocognitif",
"pratique de groupe", "opposition de représentations".
L'important est la confrontation entre plusieurs représentations qui
permet la prise de recul et le dépassement (Perret-Clermont 1988).
1.9. Les théories humanistes
Les théories humanistes, également appelées "personnalistes",
"libertaires", "pulsionnelles", "libres", ou encore
"ouvertes" prennent appui essentiellement sur la personne. Suivant
les auteurs, ces théories mettent en avant les notions de "soi",
de "liberté" et "d'autonomie". Elles insistent sur
la liberté de l'étudiant, ses désirs, sa volonté
d'apprendre.
La plus connue est l'oeuvre de Rogers (1951, 1969). C'est la personne en situation
d'apprentissage, appelée parfois "client" qui doit maîtriser
son éducation en utilisant ses possibilités intérieures.
L'enseignant dans ses relations avec les élèves ne joue qu'un
rôle de facilitateur. Il doit viser continuellement l'auto-actualisation
de l'apprenant (Paré 1977).
Suite aux développement de ces idées, il y eut, dans les décennies
soixante et septante, une prolifération d'écoles "ouvertes",
"alternatives", "non directives" qui s'inspirèrent
d'une approche du développement intégral de l'enfant (Kirschenbaum
et Henderson 1989).
1.10. Les théories génétiques
Dans le prolongement des théories philosophiques du XVIIIème siècle
(Leibnitz 1704, Kant 1781), ces théories supposent une structure cognitive
déjà existante chez tout apprenant. Cette dernière "se
développe" principalement par "maturation" au cours d'une
série d'étapes. Elle facilite la mémorisation et constitue
un point d'ancrage pour les nouvelles données à acquérir.
Présente chez de nombreux psychologues du début du siècle,
cette tendance prend une importance grandissante après la dernière
guerre jusqu'aux années septante. Parmi les plus fréquemment citées,
on peut noter Wallon (1945), Kelly (1962), Gagné (1965, 1976), Bruner
(1986), Piaget (1966, 1967), Ausubel et al. (1968).
Au cours des vingt dernières années, ces trois derniers chercheurs
ont eu le plus d'impact sur les pratiques éducatives. Gagné (1965),
par exemple, distingue d'une part des concepts "concrets" dont l'apprentissage
est basé sur des propriétés observables comme l'identification
d'une classe au moyen de ses exemples et d'autre part des concepts "définis"
pouvant être appris au moyen d'une définition, qu'il nomme encore
: concepts relationnels.
Pour lui, l'apprentissage scolaire se fait au travers du langage et des concepts
concrets, ceux-ci sont progressivement remplacés par des concepts définis.
Ainsi le concept concret "rond" est transformé en concept défini
"cercle" ou "courbe dont tous les points sont à égale
distance d'un point fixe appelé centre". L'apprentissage de concepts
définis conduit l'élève à exprimer la connaissance
acquise par une démonstration ou une utilisation de cette définition.
Pour Ausubel (1968), tout est affaire d'intégration, et cette dernière
est facilitée par l'existence de "ponts cognitifs" qui rendent
l'information signifiante par rapport à la structure globale préexistante.
Dans son cadre conceptuel, les nouvelles connaissances ne peuvent être
apprises que si trois conditions sont réunies.
Premièrement, des concepts plus généraux doivent être
disponibles et se différencier progressivement au cours de l'apprentissage.
Deuxièmement, une "consolidation" doit être mise en place
pour faciliter la maîtrise des leçons en cours : les informations
nouvelles ne peuvent être présentées, tant que les informations
précédentes ne sont pas maîtrisées. Si cette condition
n'est pas remplie, l'apprentissage de toutes les connaissances risque d'être
compromis.
Enfin, la troisième condition concerne "la conciliation intégrative",
elle consiste à repérer les ressemblances et les différences
entre les anciennes connaissances et les nouvelles, à les discriminer,
éventuellement à résoudre les contradictions ; de là
elle doit conduire obligatoirement à des remodelages.
Le modèle de Piaget et des psychologues généticiens est
le plus fréquemment cité. Il repose sur "l'assimilation et
l'accommodation" et plus particulièrement sur la liaison étroite
qui existe entre ces deux concepts. Ce qui le conduit à avancer le concept
d'"abstraction réfléchissante".
L'élève fait entrer dans sa propre organisation cognitive les
données du monde extérieur. Les informations nouvelles sont traitées
en fonction des acquis constitués antérieurs, il les assimile.
En retour, il y a accommodation, c'est-à-dire transformation des schèmes
de pensée en place en fonction des circonstances nouvelles. Pour lui,
il s'agit de rattacher la nouvelle information à ce qui est déjà
connu, de la greffer sur des notions en prenant en considération les
"schèmes" dont dispose le sujet. Très souvent, ces derniers
sont réorganisés par les nouvelles données.
Aujourd'hui, il faudrait enfin ajouter Vygotsky (1930, 1934), fondateur de la
psychologie soviétique et mis sous le boisseau durant toute la période
stalinienne. Il ne sera redécouvert qu'à partir de 1985 sur le
plan éducatif. Nourrie d'une vaste culture non seulement psychologique
mais d'abord linguistique, appuyée sur des recherches expérimentales
et une méthode originale (analyse en unités de base), sa réflexion
abonde sur la signification du mot comme unité de pensée, sur
les stades successifs du développement verbal et intellectuel, depuis
les premiers balbutiements de l'enfant jusqu'aux concepts de l'adolescent et
de l'adulte en passant par le syncrétisme, la "pensée par
complexes" ou le "langage intérieur".
1.11. Les théories cognitives
Née à partir d'origines très diverses, tout à la
fois dans le prolongement de la psychologie animale (Tolman, Krechevski, Brunswik),
de la psychologie génétique, de la psychologie sociale (Lewin,
Asch, Heider, Festinger), mais aussi de la gestaltpsychologie, de la neurophysiologie,
la psychologie cognitive s'installe au cours des années 80, au travers
des travaux sur l'information. Actuellement en grand développement, elle
pénètre toute la psychologie au point d'englober progressivement
toutes les tendances antérieures .
Son projet global vise à construire une connaissance de "ce qui
se passe dans la tête" de l'individu lorsque celui-ci pense (activités
motrices, perception, mémorisation, compréhension, raisonnement).
En particulier, la psychologie cognitive tente d'élucider les mécanismes
de recueil, de traitement (image mentale, représentation), de stockage,
de structuration et d'utilisation de l'information (Anderson 1983, Gardner 1987,
Holland et al. 1987). Une place de choix est accordée à la notion
de communication. Les activités cognitives complexes consistent en des
traitements de représentations intégrées.
Ces explications non encore stabilisées peuvent prendre des formes hétérogènes,
et se spécifier dans des sous-familles de modèles le plus souvent
locaux (Rumelhart et al. 1981), très différents dans leurs détails
mais néanmoins apparentés par leurs notions principales.
Dans son prolongement se situent l'intelligence artificielle et les théories
connexionnistes issues du développement de la neurobiologie proposant
des bases cérébrales aux grandes fonctions cognitives.
Toutes ces théories sont aujourd'hui à un tournant, des liens
étroits s'établissent avec la biologie, -pas seulement du système
nerveux, l'appareil immunologique présente des phénomènes
d'apprentissage-, la linguistique, la sémiologie, l'informatique (système
expert), la sociologie (épidémiologie des représentations)
ou d'écologie cognitive.
Des retombées existent dans la théorie "de la gestion et
de la décision", ainsi que dans la production de didacticiels. Toutefois
dans l'enseignement, les applications envisagées bien que parfois performantes,
restent peu fondées (cerveau droit et gauche ou connexionnisme neuronal).
2. Brèves notes critiques
Toutes les théories ci-dessus demanderaient une analyse plus détaillée
pour préciser toutes leurs potentialités et leurs limites, notamment
sur les plans de la pratique éducative ou culturelle. Nous nous contenterons
de schématiser ici brièvement quelques-unes de leurs lacunes.
Celles-ci peuvent se situer sur un plan général ou sur un plan
spécifique. Il est hors de question dans ce texte d'entrer dans le détail
de chacune d'elles, cela constitue le projet d'un texte ultérieur. Il
sera établi quand une certaine décantation sera possible pour
les dernières d'entre elles : les théories cognitives.
2.1. Critiques générales
A l'exception de certaines tendances cognitives, l'apprentissage n'est pour
aucune d'elles leur objet premier d'études. Il n'est considéré
au mieux que comme une retombée éventuelle. Leur projet est selon
les cas : la construction "naturelle" du savoir (théories épistémologiques),
le fonctionnement social (théories sociales) ou encore l'appréhension
de processus de développement généraux (théories
génétiques).
Si l'on prend ces dernières par exemple, on constate qu'elles éludent
allègrement : contenu (objet du savoir) et contexte (conditions dans
lesquelles se déroulent l'apprentissage). Notamment, elles présupposent
qu'il suffit de connaître la pensée de l'enseigné pour enseigner
rentablement. Or on constate aujourd'hui que tout savoir est contextualisé
(Perret-Clermont 1992). Comment dès lors généraliser des
processus généraux à des apprentissages spécifiques
? C'est d'ailleurs à ce niveau que se situent les échecs les plus
patents. Déjà, toutes les observations courantes montrent ostensiblement
qu'il est toujours difficile de mobiliser des savoirs scolaires dans des milieux
professionnels ou de transférer des savoirs quotidiens en situations
scolaires. Les obstacles sont multiples et variés, de plus ils apparaissent
spécifiques à chaque contenu et à chaque contexte. Or la
plupart des psychologues, à commencer par Piaget, ne disent rien (ce
que reconnaissent très clairement ses successeurs : "il manque une
psychologie de l'élève", Vinh Bang 1989), sur les activités
de l'apprenant, sur les situations scolaires ou institutionnelles (encore moins
sur les situations médiatiques) ou sur les interventions facilitantes
de l'enseignant. Cette tendance est également observable dans les écrits
d'Ausubel, de Kelly ou de Wallon, alors même que ce dernier est très
sensible aux aspects sociaux.
Ainsi un consensus se développe pour avancer que les études sur
l'apprentissage nécessitent des études spécifiques, même
si ces dernières se situent au point de convergence du social et de l'institutionnel
(les écoles, les lieux culturels, les lieux professionnels sont d'abord
des institutions), du psychologique (les structures mentales mobilisées
par l'apprenant dans la situation d'apprentissage et non les facultés
mentales en général) et de l'épistémologique (la
structure et l'élaboration du savoir).
En effet, même si l'on est encore loin de trouver des modèles définitifs
en la matière, on aperçoit nettement que ces trois types de paramètres
sont en interaction dans tout apprentissage. Ce qui fait d'ailleurs l'originalité
et la spécificité du processus éducatif, ce sont principalement
ces interactions et leur intégration. Pourtant ces dernières sont
rarement envisagées dans toutes les études décrites ci-dessus.
De plus, l'approche de l'apprentissage nécessite de ne pas se limiter
au sujet apprenant et à ses mécanismes conceptuels. Ces derniers,
bien que de caractère autoorganisé, sont largement interdépendants
des conditions et des successions des environnements dans lesquels ils ont émergé
au cours de l'histoire de l'individu. C'est pour tenter de combler ce manque,
que nous avons tenté de décrire un nouveau modèle, qui
se veut tout à la fois "interaction" et "élaboration"
mais aussi "intégration" et "interférence"
: le modèle allostérique d'apprentissage.
2.2. Critiques spécifiques
S'il n'est pas possible ici de présenter les multiples théories
ci-dessus en ce qui concerne la compréhension, l'utilisation des connaissances
ou la mémorisation, il est néanmoins utile de proposer quelques
constatations qui doivent changer la façon dont on peut concevoir le
fonctionnement de la pensée.
D'abord il est clair que la compréhension d'un savoir scientifique ne
peut se réduire au simple décodage des éléments
verbaux qui les expriment (décodage linguistique et sémantique)
comme le préconise Vygotsky (1934), encore moins à une acquisition
de données isolées comme le prétend Gagné (1965).
Par-delà l'apprentissage de chaque élément, il faut faire
intervenir les apprentissages liés à l'ensemble, et cela en réponse
à un questionnement spécifique.
De même, la mémorisation n'est pas un simple processus de stockage
des faits (théories académiques), elle est aussi une fonction
structurée. L'individu n'enregistre pas simplement les savoirs ou les
savoirs-faire, il les "construit", mieux, il les "élabore".
D'ailleurs, cela est déjà repérable dans les simples perceptions
visuelles ou auditives. Elles ne peuvent être déconnectées
de la mémoire (ou des fonctions supérieures de la pensée)
qui leur fournit la trame du décodage.
Certes les théories génétiques ou cognitivistes se sont
davantage intéressées au traitement de l'information et aux effets
de l'environnement sur l'apprentissage. Mais les résultats de ces études
sont encore peu convaincants. Toute une série de raisons peuvent être
mises en avant.
Premièrement, nous constatons dans le cas des apprentissages conceptuels
que tout ne dépend pas des structures cognitives. Des individus qui dans
des domaines ont atteint des niveaux très développés d'abstraction
raisonnent devant des contenus nouveaux de façon comparable à
de jeunes enfants.
Ce qui est en cause dans tout apprentissage, ce n'est pas seulement la capacité
à raisonner mais la structure même de la conception en place dans
la tête de l'apprenant. Les schèmes de pensée de l'élève
ne sont pas uniquement opératoires, les conceptions mobilisées
recouvrent un ensemble en interactions multiples. Ce dernier est constitué
par des questions, des opérations, des cadres sémantiques et de
références et des signifiants qui constituent la grille de lecture
interprétative. De plus, il faut nécessairement que l'apprenant
concilie l'ensemble de ces paramètres (questions, opérations,
cadres sémantiques et de références et signifiants) pour
constituer un nouveau savoir. Celui-ci d'ailleurs ne sera mobilisé que
s'il "prend sens" pour l'apprenant. La question de la signification
est encore rarement envisagée dans la psychologie génétique
ou dans la psychologie cognitive.
Deuxièmement, l'élaboration des concepts ne peut se réduire
à un apprentissage de données isolées. Tout apprentissage
est caractérisé par une multiplicité de relations, une
pluralité d'organisations. Les processus élémentaires ne
peuvent donc rendre compte de tous ces aspects. "L'abstraction" nécessaire
n'est pas simplement "réfléchissante" mais elle est
aussi "déformante" ou "mutante". Un nouvel élément
ne s'inscrit pas directement dans la ligne des connaissances antérieures
; celles-ci représentent le plus souvent un obstacle à son intégration.
Ainsi, les informations propres à permettre un apprentissage ne peuvent
être assimilées directement, elles vont le plus souvent à
l'encontre de la structure de pensée. Celle-ci fréquemment les
élude.
Il faut donc envisager une "déformation intellectuelle" où
interagissent informations et structure mentale pour que la structure mentale
se transforme. Elle débouche à terme, non pas sur une simple accommodation,
mais sur une mutation radicale du réseau conceptuel. Lorsque les informations
nouvelles sont intégrées par le système de pensée
de l'apprenant, celui-ci s'enrichit, mais le plus souvent se transforme et transforme
le problème.
Le problème de l'intégration des différentes données
dans un ensemble conceptuel reste alors entier, et cela d'autant plus que les
différentes théories ci-dessus ne s'intéressent pas à
la structuration d'un savoir spécifique par l'apprenant. Les interrelations
qui existent entre les concepts qui vont produire une signification particulière
sont rarement prises en compte. Or généralement les concepts qui
font l'objet de l'apprentissage ne sont pas compris tout de suite par l'apprenant.
Celui-ci a besoin d'informations complémentaires, d'un autre système
de relations ou tout simplement d'en apprécier l'intérêt.
Il ne peut effectuer ces activités nécessaires que s'il a préalablement
réalisé qu'en fait il n'a pas compris l'information transmise
ou que son système de pensée n'est pas adéquat.
Et en général, on comprend la structure d'ensemble quand on doit
la décortiquer pour la faire fonctionner ou pour l'enseigner, d'où
l'importance d'une métacognition pour rendre le savoir opératoire
et mobilisable.
Enfin, supposer l'activité mentale comme un processus de traitement de
l'information (théories génétiques), ou même comme
un processus hiérarchisé de traitement d'informations (théories
cognitives) où ces dernières sont intégrées au système
conceptuel de l'apprenant, ne renseigne pas sur les conditions qui facilitent
l'apprentissage.
La connaissance des mécanismes cognitifs est nécessaire mais elle
demeure fort insuffisante pour inférer le contexte ou la nature de la
stratégie pédagogique ou médiatique adéquate. Or
ce sont ces dernières que les enseignants ou les médiateurs ont
le plus besoin de connaître.
Sur ce plan également, les théories psychologiques restent muettes.
Ce qui est tout à fait normal, ces éléments n'entrent pas
prioritairement dans leurs préoccupations, leurs projets étant
autres.
3. Un nouveau modèle d'apprentissage
Pour pallier à ces insuffisances en matière d'apprentissage,
il nous a donc semblé utile de promouvoir un autre modèle. Sa
particularité première est d'être à finalité
typiquement didactique. Ce nouveau modèle tente de répondre directement
et prioritairement aux questions liées à l'apprentissage. De plus,
il n'a pas été transposé à partir d'une autre approche
comme la plupart des théories ci-dessus, même s'il comporte des
éléments qui en sont issus. En outre, il permet d'inférer
des prévisions : un ensemble de conditions propres à générer
des apprentissages. C'est d'ailleurs ce dernier plan, appelé environnement
didactique, qui est le plus souvent sollicité (Giordan et Girault 1992).
Dans ce texte, nous ne le décrirons que partiellement. Pour en savoir
plus sur sa structure, nous renvoyons les lecteurs à d'autres textes
(Giordan 1987, Giordan 1989).
3.1. Fonctionnement du modèle
L'appropriation de tout savoir dépend de l'apprenant, principal "gestionnaire"
de son apprentissage. Elle se situe tout à la fois dans le prolongement
des acquis antérieurs et en opposition à ces derniers. En effet
pour tenter de comprendre, l'élève ne part pas de rien, il possèdent
ses propres outils : les conceptions. Elles lui fournissent son cadre de questionnement,
sa façon de raisonner et ses références. C'est à
travers cette grille d'analyse qu'il interprète les situations auxquelles
il est confronté ou recherche et décode les différentes
informations qui l'interpellent.
Cependant tout apprentissage significatif doit se réaliser par rupture
avec les conceptions initiales de l'apprenant. Lors de l'acquisition d'un concept,
l'ensemble de sa structure mentale est profondément transformée,
son cadre de questionnement est complètement reformulé, sa grille
de références, largement réélaborée.
Ce qui nous a fait écrire que l'élève apprend à
la fois "grâce à" (Gagné), "à partir
de" (Ausubel), "avec" (Piaget) les savoirs fonctionnels dans
sa tête, mais dans le même temps, il doit comprendre "contre"
(Bachelard) ces derniers.
En effet, pour apprendre, l'apprenant doit aller le plus souvent contre sa conception
initiale, mais il ne le pourra qu'en faisant "avec", et cela jusqu'à
ce qu'elle "craque" quand cette dernière lui paraîtra
limitée ou moins féconde qu'une autre déjà formulée.
Mais, encore faut-il qu'il ait l'occasion de faire fonctionner une telle approche.
Ce processus n'est pas le fruit du hasard, il s'établit seulement en
fonction des structures de pensée en place (questions, cadre de référence,
opérations maîtrisées) et des enjeux que l'individu perçoit
de la situation.
Les conceptions ne sont donc pas uniquement le point de départ, ni le
résultat de l'activité. Elles sont les instruments mêmes
de l'activité mentale. Appréhender une nouvelle connaissance consiste
alors à l'intégrer dans une structure conceptuelle déjà
fonctionnelle. La nouvelle conception se substitue à l'ancienne en remplaçant
les structures conceptuelles antérieures. Toutefois ce qui change principalement
dans la tête de l'apprenant, et là le modèle allostérique
le montre nettement, ce ne sont pas les informations, c'est le réseau
qui les relie et qui produit une signification en réponse à une
question.
L'apprenant est ainsi au coeur du processus de connaissance. Le savoir ne se
transmet pas, il procède d'une activité d'élaboration pendant
laquelle le système conceptuel mobilisé par l'apprenant, confrontant
les informations nouvelles et ses conceptions mobilisées produit de nouvelles
significations plus aptes à répondre aux interrogations qu'il
se pose.
L'enseignement du concept de circulation à l'école primaire ou
dans le premier cycle du secondaire ne va pas de soi. Faire passer l'idée
que le sang circule n'a pas de "sens" en soit, d'autant plus qu'on
ne sait trop quelle est la signification du mot circuler. En tout cas, on peut
constater que le message ne passe pas tant qu'il n'y a pas une question derrière.
1. Une motivation possible pour approcher ce concept peut être la question
de la nutrition. Les organes ou les cellules (à discuter suivant le public
choisi) ont besoin de se nourrir. Comment le peuvent-ils ? Les élèves
se rendent compte aisément qu'ils n'ont pas d'accès direct sur
l'extérieur. Un procédé a du être mis en place par
le vivant. A ce moment là, le sang déjà bien connu prend
sa place : il devient le liquide de transport.
Ce déséquilibre conceptuel permet d'entrée de concerner
les élèves. Toutefois tous les obstacles sont loin d'être
encore franchis. Il faut encore que les enfants soient convaincus que la nutrition
est l'affaire de toutes les cellules ou de tous les organes et non une fonction
globale de l'organisme en général : "on mange pour vivre".
Un temps pour argumenter sur ce plan doit avoir sa place à ce niveau.
2. L'excrétion des cellules peut mobiliser ce premier message et renforcer
le rôle de sang. Toutefois l'idée d'apport de nourriture et de
récupération des déchets n'implique pas automatiquement
l'idée de circulation (au premier sens de cercle). Historiquement on
a toujours envisagé un mécanisme type : l'arrosage des champs.
Cette autre difficulté peut être dépassée si les
élèves sont confrontés à une autre question: "le
sang est-il sans cesse renouvelé comme l'eau dans les prés? Si
non est-ce le même?"
Un petit calcul peut aider :
- "environ 5 litres de sang passent par minute dans le coeur",
- "on ne peut pas fabriquer autant de sang par minute surtout qu'on en
a autant en tout".
Cette argumentation ébranle le modèle de l'arrosage mais elle
ne suffit pas seule à induire l'idée d'un transport en cercle.
Sur ce plan, il est préférable d'introduire le modèle de
circuit. La circulation seule, renvoie à l'idée de circulation
automobile avec un aller-retour sur la même route. Le maître directement
ou indirectement par les situations qu'il crée, doit induire l'idée
de circuit. Les schémas habituels sont illisibles ou bloquent cette idée,
notamment à cause de la double circulation où nutrition et respiration
se superposent. Quelques situations de confrontation possibles :
- film sur un alevin transparent où on peut mettre en évidence,
grâce aux globules rouges, le circuit sanguin plus simple des poissons,
- envisager la continuité artères et veines et réflexions
sur ce qui se passe dans les organes (travaux sur capillaires),
- réalisation de maquettes dynamiques pour visualiser le parcours du
sang, avec pompe, organes et types de tuyaux et matérialiser les fonctions
des éléments du système. Dans les expositions, la possibilité
de visualiser par des boules se déplaçant avec éclairage
différent ou changement de couleur (à cause de la température)
peuvent aider à visualiser les transformations du sang dans les organes
et les poumons. En classe, cette modélisation peut être entreprise
avec du matériel de récupération.
Ce dernier point constitue une première approche pratique de la modélisation.
Des modèles papier-crayon peuvent également être fabriqués
par les élèves avec succès.
3. L'idée de nourriture peut être reprise et mobilisée à
propos de la respiration, autre préoccupation facile à induire
chez les élèves. "Il faut apporter de l'oxygène"
aux organes ou aux cellules. Dans ce cas toutefois, un obstacle très
fort est à franchir pour certains d'entre eux, la respiration n'est pas
seulement affaire de poumons. De plus, des mises en relation multiples sont
aussi à effectuer par les élèves :
- nourriture + oxygène --->énergie
- les organes ont besoin d'énergie,
- les organes fabriquent cette énergie : utilisation métaphore
de la voiture.
Chaque point nécessitent des explicitations et des confrontations entre
élèves ou entre élève et documentation. Des conceptogrammes
peuvent aider les élèves à y parvenir. Autre problème
lié à résoudre : que peut-on dire sur l'oxygène
pour ne pas en rester à l'idée fréquente de vitamine. Si
tous ces éléments sont requis, on obtient dans ce cas un autre
renforcement par mobilisation du savoir sur une autre situation.
3.2. Obstacles à l'apprentissage
A côté de son aspect explicatif, le modèle allostérique
permet encore de prévoir une série d'obstacles à l'apprentissage.
Ils se situent à différents niveaux, ce qui induit nécessairement
des traitements spécifiques différents. En premier lieu, cas le
plus simple, il peut manquer une information nécessaire. Dans d'autres
cas, l'information nécessaire lui est accessible, mais l'apprenant n'est
pas motivé par rapport à cette dernière ou la question
qui le préoccupe est autre. Troisièmement, l'apprenant est incapable
d'y accéder pour des raisons de méthodologie, d'opérations
ou de référentiels. Enfin le plus souvent, il lui manque les éléments
propres à la gestion effective de la compréhension.
C'est sur ces deux derniers points que le modèle allostérique
est le plus pertinent. Dans le cas des apprentissages fondamentaux, il montre
nettement que le savoir à acquérir ne s'inscrit jamais automatiquement
dans la ligne des connaissances antérieures ; celles-ci représentent,
le plus souvent, un obstacle à son intégration. Il faut donc prévoir
une transformation radicale du réseau conceptuel. Cela implique un certain
nombre de conditions supplémentaires.
· Premièrement, l'apprenant doit se trouver en condition de dépasser
l'édifice constitué par les savoirs familiers. Or cela n'a rien
d'évident car les conceptions qu'il active, correspondent aux seuls instruments
à sa disposition : c'est à travers elles qu'il décode la
réalité. Il lui faut donc constamment remettre en cause ces conceptions
car celles-ci conduisent inévitablement à l'évidence et
constituent ainsi un "filtre" sur la réalité.
· Deuxièmement, la conception initiale ne se transforme que si
l'apprenant se trouve confronté à un ensemble d'éléments
convergents et redondants qui rendent cette dernière difficile à
gérer.
· Troisièmement, l'apprenant ne peut élaborer un nouveau
réseau conceptuel qu'en reliant différemment les informations
engrangées, notamment en s'appuyant sur les modèles organisateurs
qui permettent de structurer les savoirs autrement.
· Quatrièmement, les concepts en cours d'élaboration demandent
à être -pour devenir opérationnels- différenciés
progressivement et délimités dans leur champ d'application au
cours de l'apprentissage, puis consolidés par une mobilisation du savoir
dans des situations autres où ils peuvent être appliqués.
· Enfin, l'apprentissage suppose que l'apprenant exerce un contrôle
délibéré sur son activité d'étude et sur
les processus qui régissent cette activité, et cela à différents
niveaux. D'abord, l'apprenant doit réorganiser l'information qui lui
est présentée (ou alors qu'il se procure) en fonction des appréciations
qu'il se fait des situations, des significations qu'il élabore à
leur propos, des représentations du savoir qu'il établit. Ensuite,
l'apprenant doit concilier l'ensemble des paramètres précédents
pour constituer -dans le cas où il peut être réutilisé-
un nouveau savoir. Enfin, il doit repérer les ressemblances et les différences
entre les anciennes connaissances et les nouvelles et résoudre le plus
souvent les contradictions.
3.3. Conditions pour une transformation
Si l'une des conditions précédentes n'est pas remplie, l'apprentissage
risque d'être compromis. La pensée d'un apprenant ne se comporte
donc pas comme un système d'enregistrement passif qui graverait un nouveau
savoir sur un terrain jusque là vierge. Elle possède son propre
mode d'explication qui oriente la manière dont sont appréhendées
les informations nouvelles.
Ce réseau conceptuel, constitué de manière involontaire
et inconsciente à partir des premières expériences et des
interprétations personnelles des situations d'enseignement ou de médiation
antérieures constitue un véritable filtre pour toute nouvelle
acquisition.
C'est donc l'apprenant qui, pour une raison ou pour une autre, doit se trouver
en situation de changer ses conceptions. Si l'enseignement ne les prend pas
en compte, celles-ci résistent vivement à tout changement ou remodelage.
Or, l'apprenant ne met pas seulement en place un simple processus d'assimilation-accommodation.
Certes, un processus autorégulateur doit être établi, mais
il ne peut fonctionner seulement comme un "pont cognitif" (Ausubel)
ou comme une "abstraction réfléchissante" (Piaget 1976).
L'image qui peut qualifier au mieux la mécanique de l'apprendre est celle
d'une élaboration. En effet l'apprentissage présente à
la fois des modes principalement conflictuel et intégrateur. De plus,
sa principale caractéristique est d'être d'abord interférentiel.
Ces interférences sont la conséquence des multiples interactions
nécessaires, entre conceptions et contexte d'apprentissage, entre conceptions
et concepts, et surtout entre les multiples éléments qui constituent
les conceptions (cadre de questionnement, cadre de références,
processus conceptuel mis en jeu et même traces utilisées). L'action
propre de production de signification de l'apprenant est au coeur du processus
de connaissance. C'est ce dernier qui trie, analyse et organise les données
afin d'élaborer une réponse personnelle à une question.
Et personne ne peut le faire à sa place. Encore faut-il qu'il ait "en
tête" une question qui l'intrigue. Seul l'apprenant peut travailler
à intégrer les informations neuves qui lui parviennent ou qu'il
rencontre afin de leur donner un sens qui demeure compatible avec l'organisation
d'ensemble de la structure mentale préalablement établie. C'est
d'ailleurs là que la notion d'interférences prend toute son importance.
Ce qui demande du temps et passe nécessairement par une séries
d'étapes successives.
Toutefois le moteur de ce processus n'est pas une simple "maturation".
C'est plutôt une émergence dépendant des conditions internes
qui régulent la pensée de l'apprenant d'une part. D'autre part,
les conditions extérieures dans lesquelles est plongé l'apprenant
interfèrent à leur tour largement. D'ailleurs, c'est le réseau
de relations mobilisées entre le système conceptuel de l'apprenant
et les informations glanées à l'école et hors de l'école
qui est pertinent, et non la suite des données enregistrées.
On voit alors combien l'apprentissage ne peut être non plus un mécanisme
d'accumulation. Pourtant cette idée sous-tend encore tous les programmes
scolaires. On décompose la connaissance en une série de disciplines,
et les disciplines en chapitres, sous-chapitres, etc. On les aborde successivement,
leur juxtaposition reconstituant spontanément le tout.
L'appropriation du savoir doit être envisagée d'abord comme une
suite d'opérations de transformation systémique et progressive,
où ce qui compte principalement est que l'élève soit concerné,
interpellé dans sa façon de penser. Or habituellement, le savoir
lui est proposé "à froid", sans questionnement.
3.4. Un environnement didactique
Ce processus ne peut pas être le produit du hasard. Il doit être
largement favorisé par ce que nous appelons un environnement didactique,
mis à la disposition de l'élève par l'enseignant, et d'une
manière plus générale par tout le contexte éducatif
et culturel. La probabilité pour qu'un apprenant puisse "découvrir"
seul l'ensemble des éléments pouvant transformer les questionnements
ou pouvant faciliter les mises en relation multiples et les reformulations est
pratiquement nulle dans un temps limité. Même les autodidactes
reconnaissent que leurs acquisitions ont été facilitées.
Parmi les paramètres significatifs, un certain nombre d'entre-eux peuvent
être déjà répertoriés grâce au modèle
allostérique. D'abord, le contexte éducatif doit nécessairement
induire une série de déséquilibres conceptuels pertinents.
Il s'agit de faire naître chez l'apprenant une envie d'apprendre, puis
une activité élaboratrice. Pour cela, il faut le motiver par rapport
à la question ou à la situation à traiter ou du moins le
faire entrer dans cette dernière.
Un certain nombre de confrontations authentiques sont en particulier indispensables.
Ce peuvent être des confrontations élève-réalité
par le biais d'enquêtes, d'observations ou d'expérimentations dans
le cas où celles-ci s'y prêtent. Ce peuvent être aussi des
confrontations élève-élève par le biais de travaux
de groupes ou de confrontations avec les informations. Toutes ces activités
doivent convaincre l'apprenant que ses conceptions ne sont pas suffisamment
adéquates par rapport au problème traité. Elles l'aident
à expliciter sa pensée et l'entraînent à prendre
du recul par rapport à ses évidences, le plus souvent à
reformuler le problème ou/et à envisager d'autres relations. En
outre elles peuvent le conduire à glaner un ensemble de données
nouvelles pour enrichir son expérience.
Deuxièmement, il est important que l'apprenant ait accès à
un certain formalisme. Ce formalisme qui peut prendre des formes très
diverses (symbolisme, schématisation, modélisation) est une aide
à la réflexion. Pensez combien les chiffres arabes et les règles
de la multiplication peuvent faciliter cette acquisition contrairement aux chiffres
romains ou aux abaques du Moyen-Age !
Bien sûr le symbolisme choisi doit être accessible et facilement
manipulable pour l'apprenant. Il doit correspondre à une réalité,
lui permettre d'organiser les diverses données ou lui servir de point
d'ancrage pour produire une nouvelle structuration du savoir. Sur ce dernier
plan, l'introduction de modèles permet toujours une vision renouvelée
de la réalité. Elle peut servir de "noyau dur" pour
fédérer les informations et produire un nouveau savoir.
Faire naître chez l'apprenant une activité élaboratrice
sur un tel sujet n'est pas simple. Les élèves ont l'impression
de connaître, "la plante se nourrit dans le sol" et ils sont
peu motivés pour en savoir plus. Diverses situations peuvent l'interpeller
avec succès : plantes sans sol, cultures hydroponiques, plantes de forêts
tropicales aériennes, lentilles, misères dans verre. Il faut signaler
l'importance de la maîtrise, au préalable ou en parallèle
chez l'apprenant, d'un certain niveau d'attitude et de démarche. Cela
facilite le questionnement et une prise de recul par rapport aux phénomènes.
Chaque fois une réelle confrontation est indispensable (confrontations
élève-réalité, confrontations élève-élève)
pour qu'il puisse expliciter sa pensée dans le cadre de travaux de groupe.
De plus, divers travaux doivent l'amener à glaner un ensemble de données
nouvelles pour enrichir son expérience par rapport à la question
en jeu. Ils doivent le conduire à tester sa pensée par le biais
d'observations ou d'expériences (variations des divers facteurs expérimentaux
: lumière, température, concentration en CO2, sel minéraux,
etc.). Ils doivent l'entraîner à prendre du recul par rapport à
ses évidences, le plus souvent à reformuler le problème
(que veut dire se nourrir ?) ou/et à envisager d'autres relations (relation
nourriture-énergie). La nécessité d'arguments divers est
primordiale en la matière, l'enseignant ne doit jamais se contenter d'un
seul, présenté rapidement. De plus, tous ces éléments
doivent être adéquats par rapport au cadre de références
de l'élève, sinon, il les élude.
Pour les élèves maîtrisant bien la démarche scientifique,
l'approche peut être facilitée par des confrontations élève-informations
dans le cadre d'un travail documentaire (cultures sur sols divers, interactions
de facteurs, rôle des engrais, de l'humus, du fumier). Toutes ces activités
de confrontations doivent convaincre l'apprenant que ses conceptions ne sont
pas adéquates ou sont incomplètes par rapport au problème
traité, et éventuellement que d'autres sont plus opérationnelles.
Ensuite, l'apprenant doit avoir accès à un certain formalisme
en tant qu'aide à la réflexion. Ce formalisme peut prendre des
formes très diverses (schématisation, modélisation). Il
doit être aussi facilement manipulable pour organiser les nouvelles données
ou pour produire une nouvelle structuration du savoir (en tant que points d'ancrage).
L'introduction d'un modèle global peut servir de "noyau dur"
pour fédérer les informations au fur et à mesure.
Ce modèle peut être à compartiment. Certains modèles
partiels doivent être envisagés de façon complémentaire
pour préciser chacun des point (rôle de la lumière, des
chloroplastes, respiration par rapport à photosynthèse, transduction
d'énergie). Chaque fois, ils devront être adaptés au cadre
de compréhension de l'élève. Enfin il faut ajouter que,
pour que le concept de photosynthèse soit réellement opératoire,
il est nécessaire de procurer à l'apprenant des situations où
il pourra mobiliser son nouveau savoir et en tester l'opérationnalité
et les limites (activités de cultures, chaînes trophiques).
Sur le plan didactique, un certain nombre d'investigations sont en cours. Un
certain nombre de procédures différentes apparaissent utilisables
avec succès suivant les moments. En tant que première étape,
il se révèle que sur un contenu donné, il est plus économique
que l'enseignant fournisse une ébauche de modèle. L'enseignant
ou le médiateur doit toutefois s'entourer de précautions. Il est
utile que ce "pré"-modèle soit lisible, compréhensible,
adapté à la perception du problème que s'en fait l'élève.
Au préalable, il est souhaitable que ce dernier ait eu l'occasion de
se familiariser avec leur usage. Qu'il ait eu la possibilité d'en produire
et même d'en faire fonctionner... Il est surtout important que l'apprenant
ait pris conscience qu'il n'y a pas de bons "modèles". Tout
modèle n'est qu'une approximation temporaire. Il est ainsi utile que
l'élève "jongle" avec plusieurs d'entre eux pour tester
leur opérationnalité et leurs limites respectives.
Troisièmement, il est utile de procurer à l'apprenant des situations
où, une fois élaboré, le savoir pourra être mobilisé.
Ces activités sont indispensables pour montrer à l'élève
que des nouvelles données sont plus facilement apprises lorsqu'elles
sont intégrées dans des structures d'accueil ou quand elles ont
un usage. N'apprend-on pas le plus souvent quand on est conduit à enseigner
ou quand il faut réintroduire le savoir dans des pratiques ? De même,
ces situations habituent l'apprenant à "greffer" le nouveau
sur l'ancien. Elles l'entraînent à ce "va-et-vient" entre
ce qu'il connaît et ce qu'il est en train de s'approprier. Les adhérences
antérieures sont plus facilement dépassées.
Enfin, il est souhaitable que l'apprenant puisse mettre en oeuvre ce que nous
appelons "un savoir sur le savoir". De nombreuses difficultés
constatées montrent que souvent l'obstacle à l'apprentissage n'est
pas directement lié au savoir lui-même mais résulte indirectement
de l'image ou de l'épistémologie intuitive qu'il possède
sur la démarche en jeu ou sur les mécanismes de production du
savoir. Concrètement, il s'agit de mettre en place, et cela dès
le plus jeune âge, une réflexion sur les pratiques conceptuelles.
Quels sont leurs portées, leurs intérêts ? Quelles sont
les démarches mises en jeu en classe ? Quelles sont leurs "logiques"
sous-jacentes ? Pourquoi le savoir et même l'apprentissage ne seraient-ils
pas un objet de savoir ... à l'école !
4. Conclusion
En conclusion, il est possible de resituer les différentes théories
sur un graphe dont les trois axes sont ceux définis au point 1. On peut
alors nettement voir que la plupart des théories en oeuvre à ce
jour sont proches d'un seul axe. Elles mettent l'accent nettement sur un seul
paramètre.
Le modèle allostérique par contre, et d'une manière moindre
le "zigzag modèle" développé dans ce même
livre par Schaefer sont d'un type nouveau. Ils apparaissent de nature polyfactorielle
: ils intègrent plusieurs paramètres. Leur intérêt
se situe au point de convergence d'un ensemble d'éléments qui
produit un système relationnel. Pour le modèle allostérique,
comme il l'a été dit ci-dessus, l'apprentissage n'est pas l'affaire
d'un seul facteur, c'est un réseau de conditions nommé "environnement
didactique" qui est prépondérant pour l'enseignement et la
médiation. En fait, c'est même l'histoire de ces conditions qui
s'avère déterminante.
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Didactique ! Vous avez dit didactique ?
Le mot "didactique" a longtemps servi à qualifier tout ce qui se rapportait à l’enseignement vu comme une transmission magistrale de savoirs disciplinaires. Il est devenu aujourd’hui un substantif qui désigne une science.
Il s’agit de la science qui travaille à décrire et expliquer les situations où l’on repère des hommes en train d’apprendre et des hommes en train d’enseigner des savoirs constitués définissables en termes de références académiques ou en termes de pratiques.
Cette nouvelle acception n’échappe pas à la polysémie habituelle des termes technico-scientifiques (qui rend, par exemple, l’adjectif "chimique" susceptible de s’appliquer à une recherche, à une réaction, à une industrie, à un produit, etc.).
Historiquement, pour se constituer en science nouvelle, la didactique a du, comme c’est courant en épistémologie, créer sa niche écologique en proposant des angles d’attaque des problèmes qui mettaient l’accent sur des aspects négligés jusqu’alors par des approches concurrentes. Ici, nous faisons référence aux approches psychologiques du " sujet apprenant " et pédagogiques qui privilégient l’étude de la relation maître-élève.
Les premières recherches ont donc regardé les situations d’apprentissage en mettant en évidence les variables tenant au savoir enseigné. Ceci explique que les recherches les plus nombreuses ont pris appui sur des disciplines où le savoir est clairement identifié, mis en texte, comme les mathématiques ou la physique.
Aujourd’hui, presque toutes les disciplines revendiquent une didactique, y compris lorsque les savoirs sont des savoirs-faire, on parlera alors de didactique professionnelle.
Sur les plans scientifique et corporatif, on constate des relations multiples (de collaboration, de concurrence ou de conflit) entre , la didactique d’une discipline x , la discipline x elle-même, la didactique d’une autre discipline y , les parties non spécifiquement didactiques des sciences de l’éducation, etc. – sans compter l’enseignement lui-même avec ses problèmes pratiques. Autours de ces relations se créent des communautés de chercheurs en didactique.
La didactique se présente parfois comme une science appliquée car elle propose des ingénieries qui ont pour objectif à terme d’"améliorer" l’enseignement. C’est principalement du côté des didactiques strictement disciplinaires que l’on peut l’observer. La didactique comme science continue d’observer des faits, de décrire des pratiques et de construire des modèles et des concepts capables de les expliquer.
On dira donc qu’il y a du didactique (comme on parle du politique ou du religieux) lorsqu’on peut repérer une intention d’enseigner quelque chose (de définissable) à quelqu’un.
On le comprend aisément, le didactique se déploie essentiellement dans des institutions dont l’organisation est structurée autour de cette intentionnalité.
Cette intentionnalité crée des êtres fictifs dans ces institutions ; ainsi l’enfant devient " élève ", l’adulte " formé " ou " apprenant ", d’autres seront " professeurs " ou " formateurs ". Elle produit également ses effets au niveau des savoirs, qui vont être tout spécialement adaptés pour être enseignés.
La didactique va donc raisonner à partir d’une construction artificielle : la structure didactique :
Ce qui va cohérer et permettre le fonctionnement de cette structure comme un système dans le temps, c’est ce qu’on nomme " contrat didactique ".
L’approche didactique va, à partir de ce modèle, tenter de mettre à jour les contraintes principales qui pèsent sur le fonctionnement du système et dire en conséquence comment les choses ne peuvent pas se passer.
Ce faisant, le domaine d’investigation s’ouvre sur un espace bien défini de possibles, ce qui est fort commode d’un point de vue des méthodologies de recherche.
De même que le principe de Lavoisier " rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme " ne dit rien sur comment les choses doivent se passer en chimie mais précise une contrainte déterminante des réactions, de même la didactique ne dira pas le " vrai " ou le " bon " en matière d’enseignement et d’apprentissage mais aura l’ambition de méticuleusement rendre compte des phénomènes qu’on peut identifier dans ce champ. Comme la chimie a disqualifié, rendu caduque, l’alchimie, la didactique fera peut-être de même avec d’autre approches des processus éducatifs.
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Dans le paradigme pédagogique, qui considère
l’apprenant comme un " enfant " et peu comme un " élève
", le savoir n’est pas problématique en soi.
En effet, l’élève se défini par son manque: il ne
sait pas. Les disciplines sont le miroir de l’ignorance de l’enfant.
L’école est assez passive devant les contenus et la pédagogie
se donne pour mission de les rendre " accessibles " aux jeunes esprits.
Une discipline se distingue donc des savoirs constitués - " académiques
" - par le fait qu’ils se présentent chez elle " adaptés
" pour les élèves, la pédagogie étant le "
lubrifiant " qui facilite leur assimilation. On dira que les savoirs sont
" transposés ", de la sphère de leur
création par les savants à la sphère des institutions de
formation où ils sont enseignés.
Ce processus de transposition didactique comprend plusieurs
étapes : la première est la désyncrétisation,
c’est à dire une extraction de leur milieu d’origine (la
sphère savante), on les dépersonnalise (on ne sait plus par qui,
quand et comment ils ont étés élaborés), on les
remodèle par une mise en texte qui peut parfois les rendre accessibles
sur un mode familier (vulgarisation).
Une deuxième étape consiste à revêtir ces savoirs
d’un " apprêt didactique ", on les habille,
on les retravaille pour assurer leur compatibilité avec la double attente
du système d’enseignement et de la société qui le
légitime.
L’histoire, par exemple, n’était pas enseignée sous
les même formes sous le régime de Vichy qu’aujourd’hui,
mais également avant ou après l’importance prise par l’approche
de " l’école des anales " au niveau de la communauté
des historiens " savants " (enseignement chronologique :1515 :Marignan
ou thématique : rôle de la femme au moyen âge, par exemple).
Ainsi, les savoirs enseignés, qu’on retrouve organisés au
sein des disciplines de manière spécifique, portent dans leur
forme même les stigmates d’une volonté d’enseigner
particulière.
Une des caractéristiques des effets de cette transposition est que la
mise en texte inclut une prévision du déroulement de l’exposition
du savoir, déroulement qui est progressif, cumulatif et irréversible.
En effet, on l’organise du plus simple au plus compliqué, on s’appuie
sur ce qui précède pour aller plus loin, on considère qu’il
n’est pas besoin de toujours revenir en arrière : ce qui est su
est su.
L’ultime phase de la transposition est assurée par le formateur,
lorsqu’il adapte dans un premier temps les savoirs dans ses préparations
et qu’il les réadapte ensuite in vivo, devant son public, selon
les réactions de celui-ci (trop facile, il complique et/ou accélère,
trop difficile, il simplifie et/ou ralentit) .
On a montré que ce processus de transposition est relativement long pour
chaque objet de savoir particulier (environ 20 ans en moyenne). Par exemple,
la théorie de la relativité générale était
stabilisée dans la sphère savante des physiciens depuis les années
30 et ne fut enseignée que vers les années 60 à l’université
(deug A).
L’accomplissement de ce processus (choix des savoirs parmi les savoirs
savants, désyncrétisation, mise en texte, habillage, séquencialisation)
est assuré par un ensemble de personnes que l’on nomme "
noosphériens ", ils sont les garants de la légitimité
de l’enseignement des savoirs particuliers au sein des disciplines par
rapports aux attentes et besoin de la société et ont ainsi une
fonction de régulation (on supprime ou ajoute ou refond tel ou tel objet
des programmes).
Ces personnes appartiennent souvent à l’institution et travaillent
sous un certain contrôle politique (inspecteurs généraux,
recteurs, universitaires de renom dans la discipline, pédagogues institutionnels
type INRP).
Parfois, la communauté des savants impose aux noosphériens, par
la force de leur notoriété, que l’on enseigne les savoirs
tels qu’ils jugent devoir l’être de leur point de vue, c’est
à dire plus proche de la forme qu’ils ont à la source de
leur production.
Ce fut le cas pour la réforme dite des " mathématiques modernes
" quasi-imposée par le groupe de mathématiciens " Bourbaki
" allié pour l’occasion à Jean Piaget. Les étapes
de la transposition furent " brûlée " et la non-compatibilité
de la forme enseignée des savoirs avec le système d’enseignement
existant fit que la réforme, peu à peu, s’enlisa et qu’on
revint à des formes plus " traditionnelles ".
D’autres fois, ce sont les projets de la sphère socio-politique
qui dictent la création de savoirs pseudo-savants comme ce fut le cas
de la grammaire dès 1850 quand on eût besoin d’enseigner
à tous une langue écrite unique et réglée, à
des fins de démocratisation et d’unité nationale, autour
de cette valeur désignée commune : le français.
Une discipline enseignée est donc sensée porter en elle les moyens
de sa propre transmission et correspond à une demande de la société
plus ou moins bien définie.
On constate, à l’échelle historique, que les disciplines
vont et viennent dans les curriculum, changent d’appellation, deviennent
hégémoniques (surtout lorsque la sélection s’opère
à partir d’elles). Par exemple, on constate la disparition de l’enseignement
de la bienséance, de la rhétorique et l’apparition de l’informatique,
du sport , poids des mathématiques, perte de vitesse du latin etc.
On distinguera quatre caractéristiques communes aux disciplines:
- un contenu de connaissances avec une terminologie, des exemples, une vulgate
évaluative
- des exercices avec échelle qualitative
- des méthodes d’incitation et de stimulation qui entretiennent
son intérêt sociétal,
- une docimologie.
Voir également:
http://www-eiah.imag.fr/EIAH/DEA/Enseignements/ModuleD1.html
le concept de transposition didactique:
http://tecfa.unige.ch/~lintz/staf11/trans-did.html
Le concept de Transposition Didactique peut-il étendre
sa portée au delà de la didactique des sciences et des mathématiques
? Samuel Joshua
http://www.aix-mrs.iufm.fr/formations/filieres/ses/didactique/transpomaths.html
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Le modèle systémique du fonctionnement de la relation
didactique : le contrat didactique
La cohérence de la relation didactique, la pérennité
de son fonctionnement, sa viabilité, sont assurées par la notion
de "contrat didactique" .
Si l’objectif de l’enseignement est que les formés parviennent
à utiliser des connaissances propres à un domaine notionnel selon
des règles d’utilisation qui respectent les conditions d’application
et le domaine de validité de ces connaissances, (non confusion de concepts
pour décrire une situation, non changement de nature des faits pour justifier
une explication, respect du domaine d’application ...) cet objectif ne
peut se réaliser sans un certain assentiment des formés eux-même.
En effet, le formateur ne peut indéfiniment se contenter d’imposer
des règles, il doit montrer que leur acceptation présente un bénéfice
cognitif pour les formés.Il doit, en même temps qu’exposer
des savoirs transposés, produire de l’intérêt : il
s’agit d’un processus de conversion, au sens religieux du terme.
Il doit assurer la conversion de la nécessité d’apprendre
en désir d’apprentissage. Il entretient continuellement la libido
des formés pour les savoirs. Pour cela, on a progressivement - dès
la maternelle - la formation d’un ensemble de comportements réglés
par l’intérêt bien compris de chacun, qui peut être
nommé contrat didactique.C’est un système réciproque
d’attentes, de négociation, tacite ou non tacite (au moment des
régulations) qui porte sur tous les aspects du rapport au savoir des
formés.
Le contrat est ainsi un générateur de sens pour les pratiques
de formation. Avec le temps, les comportements des formés sont induits
par le contrat lui-même et celui-ci devient un élément constitutif
de la pensée des individus, on peut parler d’habitus scolaires.
Au fond, en entrant dans une relation didactique, chacun s’attend à…,
est disposé à…L’enseignant s’attend à
ce qu’on l’écoute et qu’on le croie, les formés
sont disposés à écouter, enclins à croire (n’oublions
pas que les savoirs, ici, sont légitimés par la transposition).
Voici un exemple pris dans Mercier (1999) qui va illustrer ce qui précède
:
Le problème " Sur un bateau il y a 26 moutons et 10 chèvres.
Quel est l’âge du capitaine ? ", posé à 97 élèves
d’une classe de CE1, a suscité de nombreuses réponses, 76
élèves donnant l’âge du capitaine en utilisant les
nombres figurant dans l’énoncé.
La logique de ce comportement massif échappa d’autant plus à
ses inventeurs, qu’ils allèrent interroger des élèves
plus âgés dont les réponses leur ont peut-être semblé
plus étonnantes encore. Un élève de CE2 répond :
" Pourquoi on parle de moutons et après on demande l’âge
du capitaine ? " ; interrogé sur le problème, il précise
: " Je pense qu’il est bête parce qu’on parle de moutons
et après du capitaine ", tandis qu’il répond sans hésiter
à la question : " Dans la classe, il y a quatre rangées de
sept tables. Quel âge a la maîtresse ? " en affirmant : "
Je pense que la maîtresse a 28 ans parce que 4 x 7 = 28 ; je pense que
celui-ci est moins bête que l’autre ".
On peut voir ici un des effets émergents remarquables d’une relation
sociale d’un type particulier, une relation didactique : les élèves
s’attendent à ce qu’en leur proposant ces problèmes,
le professeur cherche à les instruire ; ils agissent donc en conséquence
chaque fois que leur attente semble satisfaite.Ainsi, ils traitent le second
problème par une multiplication, on trouve ainsi 28 (tandis qu’une
addition donne 11), mais ce leur est moins insupportable que de traiter le premier
par une addition pour trouver 36 comme le font des élèves plus
jeunes. Cela montre qu’ils contrôlent la pertinence de leur réponse.
Les deux problèmes sont interprétés différemment
: l’enjeu didactique du premier n’étant pas identifiable
pour eux, les élèves le rejettent. Tandis qu’ils acceptent
celui dont ils pensent avoir compris la raison didactique : explorer de nouvelles
occurrences de la multiplication.
Ainsi, la logique du comportement des élèves n’est pas leur
logique personnelle, mais elle révèle bien plutôt la logique
des interactions didactiques dans lesquelles ils sont pris ; la logique du système.
On pourrait aller jusqu’à dire que les comportement sont surdéterminés
par le contrat.
Ainsi, les problèmes deviennent peu à peu des problèmes
scolaires: en dehors de l’école, les questions des enfants sont
souvent irrésolvables avec les moyens dont ils disposent (pourquoi le
ciel est bleu ? etc.). L’école est le lieu où tous les problèmes
doivent avoir une solution. Plus tard, l’Université est un lieu
probable où les questions des formés vont trouver des réponses,
ce qui génère des attentes légitimes. Ainsi, la relation
humaine à propos d’un objet dont l’un est supposé
posséder la maîtrise et l’autre ignorer les usages est bien
une relation didactique, mais elle n’est pas réductible à
cette dimension inégalitaire : encore faut-il que l’ignare (celui
qui n’a pas reçu d’instruction relative à l’usage
de l’objet) cherche à s’instruire de ce qu’il ignore
et que le savant (celui qui est supposé maîtriser l’usage
de l’objet) cherche à l’aider dans cette entreprise ; le
contrat didactique se noue dans le premier instant de cette rencontre, il semble
" toujours-déjà là " (Mercier, 1999).
Les actions, les comportements des uns et des autres dans la relation didactique
seront donc réglés par des méta-règles
qui, véritablement incorporées au fonctionnement social des individus,
assureront leur compatibilité avec le système didactique organisé
par les institutions de formation.
Peut-on énoncer certaines de ses méta-règles qui pilotent
les apprenants :
· Quand le professeur parle, j’écoute (chut, écouter-moi
! est une des phrases les plus redondantes dans la bouche des maîtres
depuis la maternelle).
· Pour parler, je lève le doigt et j’attends qu’on
me désigne.
· Le professeur doit corriger mon travail. Il ne doit pas se tromper.
· Je ne peux être interrogé (surtout dans le cas d’un
contrôle) que sur ce qui a été vu dans le cadre de l’enseignement.
Et bien d’autres encore…
L’assujettissement à ces normes est lent, progressif, et correspond
à des gestes professionnels particuliers de la part des enseignants.
Par exemple, la captation de l’attention est une des tâches principales
de la maîtresse de maternelle, et, pour cela, elle déploie une
ingénierie qui s’appuie sur des objets : le tapis, le tableau,
la force et la modulation de la voix etc. jusqu’à obtenir vingt-cinq
têtes tournées vers elle (et le savoir, au tableau) enfin disposées
à apprendre.
Une facette du rôle du professeur est bien de gérer l’attente
tacite des apprenants, l’enseignant est celui qui sait-avant, il peut
me dire, il va me dire, il est capable de déployer un programme, il entretient
ainsi la motivation par un espèce de suspense, comme dans un récit.Ainsi,
peu à peu, les enfants forment leur seconde nature d’élève,
sujet de l’institution didactique, en manifestant des comportements idoines
aux intentions supposées du maître, parfois à un point tel
qu’il est difficile de les raisonner.
Quel parent, se mêlant d’apprendre une technique opératoire
à son rejeton, ne s’est pas entendu dire : " non, c’est
pas comme ça qu’il faut faire (un devoir), le maître il a
dit… " ?
Quel enseignant ne s’est pas entendu dire par les parents : " non,
à la maison, il n’est pas comme ça ", et inversement
?
Au bout du compte, le contrat didactique, par un processus de transformation
de ses propres invariants en postulats-cadres de l’apprentissage, finit
par produire des normes très souvent implicites qui déterminent
(surdéterminent) la pratique, l’action en formation et pour finir
l’apprentissage lui-même. Ainsi, on apprend en classe des savoirs
en même temps que la manière de les apprendre, ceci du fait de
leur formatage (transposition) et des règles internes de leur constitution.
D’ailleurs, quel est le portrait du " bon " élève
? C’est bien celui qui sait, qui sait montrer qu’il sait, dans des
formes légitimes, au bon moment, pas trop, ni en deçà ni
au delà de ce qu’on attend de lui.
Mais la gestion au quotidien des groupes en formation-apprentissage oblige professeurs
et formés à une perpétuelle renégociation des termes
du contrat. En effet, connaissances et comportements évoluent avec les
matières, avec l’âge, avec les institutions, sur l’ensemble
d’un parcours de formation, de la maternelle à l’université.On
assiste donc à des ruptures de contrat, à des
aménagements du contrat, à des refondations de contrat. Ainsi
en va-t-il lorsqu’un professeur est remplacé au pied-levé
par un autre, un flottement est perceptible dans les comportements, tout le
monde se teste, puis, le système se remet en route, en se raccrochant
aux éléments pérennes du contrat , le plus souvent, l’enseignant
reprend la main en entrant par le rapport au savoir : " bon, où
en êtes vous en maths ? Prenez votre livre à la page… ".
Réduire l’incertitude sur le " ce pour quoi on est là
" fait partie des gestes professionnels de l’enseignant. Ainsi, on
rencontre certaines difficultés dites " d’adaptation "
à chaque changement de cycle : maternelle/CP, CM2/6ème, Collège
/Lycée, Lycée/Université.
En fait, on pourrait expliquer le phénomène de sélection
par l’exclusion, que notre système éducatif génère,
en remarquant que les exclus sont précisément ceux qui ont rompu
le contrat, ne sont pas entrés dans le contrat, faute en réalité
d’être suffisamment habiles à décrypter les attentes
des professeurs. Ils présentent souvent non pas un défaut d’intelligence,
mais un défaut d’intelligence des conditions d’activations
des règles du contrat qui réalisent et signifient le partage du
dessein didactique. Lorsqu’un professeur dit : " celui là,
on se demande ce qu’il fait là ", c’est en fait l’élève
qui se le demande, où plutôt, ne se le demande plus. Si on reprend
comme Sarrazy (1995) la démarche de Wittgenstein, qui a montré
que la mise en œuvre d’une règle ne peut être décrite
par des règles parce que la description n’aurait pas de terme,
on montre que le contrat didactique correspond à ce que Bourdieu (1994)
nomme des raisons pratiques. Ainsi le contrat rend compte du fait que ces raisons
pratiques se forment par l’entrée dans une organisation sociale
qui prend en charge un domaine de pratiques en proposant à ses sujets
un monde où les conditions de la réussite sont aménagées.
Dans le cas des raisons didactiques, l’organisation est généralement
de nos jours une école qui propose des activités qui relèvent
d’un domaine de pratiques, qui obéissent à des raisons didactiques
scolaires.C’est donc en devenant les objets d’un domaine de pratiques
scolaires, que les savoirs deviennent les enjeux de desseins didactiques supposés
partagés ; le partage du dessein didactique relatif à un savoir
identifié est le premier problème que résout une formation,
par un " effet de système " original : le contrat didactique
est ignoré de tous alors que chacun se comporte pratiquement comme s’il
était sûr que les autres le connaissent. Ce qui fait que chacun
peut le rompre. Les élèves le font en toute innocence, parce que
même s’ils paient ces ruptures d’une attribution d’échec,
ils ne sont pas les garants du contrat. Le professeur, lui, le fait en toute
honnêteté, il est légitimé par l’institution.
(Mercier, 1999). Dans les institutions didactiques, l’apprentissage, conversion
de savoirs en connaissances, doit s’opérer consubstantiellement
au développement d’une habileté à se conformer aux
attentes de l’institution, au risque de devenir un " mauvais sujet
", d’abord marginalisé, puis, enfin, exclu.
Voir également:
Contrat didactique, coutume didactique, Extrait d'Astolfi,
J.-P., Darot, É, Ginsburger-Vogel, Y. et Toussaint, J. (1997)
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teaching/CD-contrats/contrat-coutume.html
"Le cas de Gael" à la source du concept de
contrat didactique
http://www-leibniz.imag.fr/LesCahiers/2002/Cahier55/ResumCahier55.html
L'habitus: concept médiateur
http://www.cndp.fr/RevueDEES/pdf/113/03503711.pdf
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Relation didactique et outils multimédia à des fins d’apprentissage ou de formation.
Nous considèrerons ici les aspects liés à
l’internet et à la FOAD.
Comment définir le multimédia ?
Il s’agit en fait de la réunion sur un même support de fichiers
contenant du texte, du son, des images fixes ou animées et organisés
au moyen d’une programmation informatique. Une caractéristique
fondamentale est l’interactivité, qui qualifie les matériels,
les programmes ou les conditions d’exploitation permettant des actions
réciproques en mode dialogué avec des utilisateurs ou en temps
réel avec des appareils.
Quelle nouvelle position, quels nouveaux rôles vont avoir les pôles
Enseignant-Savoir-Formé du modèle systémique du fonctionnement
de la relation didactique ?
On doit distinguer deux cas :
· Le formé travaille sur une machine avec un formateur
· Le formé travaille sur une machine sans formateur
Dans le premier cas, le modèle se décline comme
suit:
L'enseignant
Il gère les défaillances de l'interaction homme/machine, la médiatisation,
les failles ergonomiques de l'interface programme/utilisateur. Dans la formation
du rapport au savoir du formé, il prend lui aussi, la position d'un instrument,
il s'externalise. C'est un superviseur mais il continue de porter l'intention
d'enseigner tout en perdant la main sur l'ultime phase de la transposition didactique
des savoirs.
Le formé
Il devient nécessairement actif sinon le programme n'avance pas. La perception
de l'intention didactique est claire. Son attention est captée par l'artefact:
surface et brillance de l'écran où défilent des événements.
Les savoirs
Ils sont "finis", délimités par le programme. On peut
parfois y accéder sans séquencialisation c'est-à-dire sans
passage obligé d'une phase facile vers une phase plus difficile. Ils
peuvent être finalisés par un aspect "évaluation performative"
qui détermine leur arborescence. Leur transposition comporte une certaine
dimension illustrative (shéma, animations...).
Chacun de ces trois pôles sont en relation aux deux autres via l'interface logicielle.
Dans le deuxième cas, il devient :
Formés et savoirs sont en relation via l'interface logicielle.
Formé et savoirs reprennent les caractéristiques du cas précédent
mais le dessein didactique est virtualisé, ce qui produit des ajustements
: on va " se permettre " de s’arrêter, de sauter des exercices,
d’explorer, de s’adresser à la machine comme à une
personne (" pourquoi il me dit que c’est faux ? ") , de détourner
son utilisation (jeux).
La responsabilité de l’entrée dans un
certain rapport au savoir, avec son effort cognitif consubstantiel, est dévolue
au formé. A lui de s’imposer les règles de comportement
efficaces pour suivre les parcours dictés par l’interface logicielle.
Ici, le contrat didactique est un contrat qu’il passe avec lui-même,
souvent difficile à assumer.L’enseignant, on l’a vu, soutient
sans arrêt l’intérêt des formés, les concepteurs
de programmes tentent d’intégrer cette dimension dans les logiciels,
le plus souvent par une méthode de renforcements positifs tout droit
héritée du béhaviorisme (" bravo, tu as réussi,
quel champion !) ou bien en faisant miroiter les possibilités du programme
(" vous pourrez faire ceci et même cela si… ").
Dans la pratique, et malgré -ou à cause- des efforts déployés
par les concepteurs pour rendre attrayants leurs produits, les apprenants vont
rarement au bout des programmes, surtout les enfants, pour qui l’ambiguïté
ludique/didactique est perçue comme une rupture de contrat : ils ne se
prennent plus au jeu dès qu’ils en perçoivent l’intention
didactique, ils rejettent le mélange des genres.
Ce mélange des genres fait d’ailleurs l’objet de critiques
de la part des enseignants qui continuent souvent d’opposer jeu et travail.
Dans les formations d’adultes médiatisée par des machines,
ces problèmes sont beaucoup moins présents. En effet, les logiciels
sont souvent très spécialisés, finalisés sur des
objectifs opérationnels bien définis et connus des formés
qui entrent alors dans un outil sans l’illusion qu’il peut être
autre chose (tous les simulateurs, les labos de langues, la robotique etc.).
Au niveau de la transposition didactique, les savoirs sont
relativement figés dans la forme que les programmeurs, suite aux concepteurs,
leur ont donné. La phase ultime de la transposition, assurée habituellement
par le professeur dans les multiples ajustements des contenus qu’il pratique
avec ses élèves (qui comprennent plus ou moins bien ou plus ou
moins vite) ne se fait plus. Le savoir est livré en kit. Il y a incontestablement
un appauvrissement qualitatif des régulations qui se cache derrière
un enrichissement quantitatif, même si l’ingéniosité
des concepteurs permet parfois certains bouclages, certains retours, proposés
à partir des erreurs commises (" si tu as seulement 4/10, retourne
à la leçon N°… ").
Le contrôle de la création du sens des apprentissages, obligatoirement
assurée par un tiers humain, seul capable par définition de gérer
l’altération de l’apprenant (qui est au fond " comme
lui "), constitue le principal manque de l’interaction homme/machine.
Dans la littérature consacrée à l’apprentissage à
l’aide du multimédia, le concept qui est mis en avant pour tenter
de palier à cet impondérable est " l’interactivité
". Il se décline sous divers aspects : design et ergonomie des logiciels,
adaptabilité et personnalisation de l’information.Les zélateurs
de l’apprentissage médiatisé par les machines vont parler
d’interactivité significative à partir du moment où
la machine va être capable de s’adapter au niveau, aux besoins,
et à la motivation des utilisateurs.
Force est de constater que cette interaction significative reste, sur le terrain
pratique, un vœu pieux. Les logiciels destinés aux apprentissages
fondamentaux, par exemple, sont toujours programmés selon la logique
algorithmique " si…alors…sinon ". Les arbres logiques
qui en découlent comportent certes des multitudes de branches, mais,
comme sur les arbres, plus on s’avance sur les branches, plus on s’éloigne
du tronc, qui oriente le sens. En quelques clic, on est perdu.
Pour autant, doit-on bannir les machines du système didactique ?
Bien évidemment non, si on ne prétend pas leur faire singer le
professeur ; elles présentent de nombreux avantages :
· merveilleuses machines à écrire, elle modifient notre
rapport à l’écriture et donc à la langue par le rapport
optimisé brouillon/propre par exemple ;
· merveilleux calculateurs : nos fonctions mathématiques prennent
vie, sans peine, ce qui engage l’utilisateur (déchargé des
fastidieux calculs) à toujours progresser et inventer sans retenue ;
· merveilleux simulateurs, les ordinateurs sont des extraordinaires partenaires
de la créativité des étudiants ;
· infatigables entraîneurs, les logiciels d’apprentissage
fournissent les moyens d’exercer nos connaissances, de les contrôler,
de les quantifier de manière fiable, de retenir en mémoire de
masse nos performances ;
· immenses réservoirs d’informations, les savoirs académiques
sont à portée de clic avec les moteurs de recherche des encyclopédies.
Pour désigner les limites de l’introduction dans
le système didactique de médias formé-savoirs qui shunteraient
le passage par l’enseignant, incarnation légitime du dessein didactique
de l’institution, il faut avoir une réflexion théorique
plus générale.
Edgard Morin défini souvent les êtres humains, la société,
les entreprises comme des machines non triviales, c’est a dire non totalement
prévisibles par l’observateur. Il faut se demander si l’interactivité
(fut-elle idéalement significative) n’est pas en réalité
source de trivialisation des comportements et, in fine, d’aliénation,
entendue comme la création de liens non consciemment désirés
avec le réel et dont on ne peut plus se déprendre.
Cliquez ici, cliquez là, on vous mène peut-être parfois
là où vous ne voudriez pas forcément aller a priori.
Peut-on changer d’itinéraire, enfreindre des règles (qui
sont consubstantielles aux bon fonctionnement des programmes), peut-on vraiment
faire preuve de stratégie devant son ordinateur sans le " planter
" ? Au contraire, n’attend-on pas de vous (pour " gagner du
temps ") que vous mettiez en place un certain nombre d’automatismes
afin que vous deveniez peu à peu prédictible par la machine ?
La machine a-t-elle vocation à nous surprendre, c’est à
dire à nous former l’esprit à répondre stratégiquement
à l’aléatoire, constituant de la complexité ?
L’ergonomie homme/machine ne nous donne-t-elle pas l’illusion qu’on
peut faire ce qu’on veut faire alors qu’en réalité
on ne fait que ce que d’autres -les concepteurs des programmes- peuvent
(veulent ?) nous faire exécuter ?
" C’est l’ordinateur qui programme l’enfant, ni plus
ni moins " dénonçait en son temps Seymour Papert (1981),
pourtant farouche promoteur de l’introduction de l’informatique
à l’école (LOGO).
Une réponse provisoire serait qu’il ne faudrait pas être
dupe du multimédia comme certains peuvent l’être par exemple
de la publicité en général (y croire, c’est tout),
surtout si l’on vise à une véritable formation.
Toujours en suivant Morin, on peut se demander si des interactions à
haute dose avec ce type de logiciels n’induisent pas un type de "
pensée simple qui résout des problèmes simples sans problèmes
de pensée " (Morin,1990).En d’autres termes, l’usage
intensif et possiblement exclusif (dans le cas d’une mise à distance)
du multimédia rend-il formateurs et formés intellectuellement
paresseux car dépendant de son confort ?
C’est une question de fond, qui attend des réponses concrètes
en terme d’ingénierie et qu’il faudra bien se poser si l’on
veut -mais a-t-on le choix ?- faire entrer les machines dans la relation didactique
en les considérant comme : " plus que de simples outils ".
Voir également:
Prof: un rôle en mutation
http://www.dansmaclasse.com/archives/mutationMars02.html
Internet, la solution à la formation continue des enseignants?
http://www.dansmaclasse.com/formationinternetMars02.html
Les Nouvelles de la Formation à distance
http://thot.cursus.edu/
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